Le causse surplombant la ville de Bédarieux est situé à l’emplacement d’un golfe adossé aux blocs hercyniens anciens qui, durant 70 millions d’années, a permis l’accumulation de sédiments marins constituant le calcaire. Cette formation calcaire jurassique a été soulevée à l’ère tertiaire, lors de l’apparition des Alpes et des Pyrénées puis modelée par les diverses formes d’érosion.La structure du calcaire n’est pas uniforme : calcaire très dur ou calcaire à chaux plus tendre, failles plus ou moins denses. Cette diversité géologique se traduit par une diversité des paysages : bois de chênes où le calcaire tendre permet aux racines de trouver l’eau, genêts et herbe rase ailleurs. L’absence d’eau caractérise les causses.Le causse culmine à 474m et se partage entre trois communes : Bédarieux, Villemagne et La Tour sur Orb. De taille modeste, il couvre 6,3 km du nord au sud et 4 km d’est en ouest.
Si les grands causses du Quercy, de l’Aveyron ou de la Lozère furent mis en valeur très tôt dans l’histoire, comme en témoigne la présence des abbayes, des villes et des villages, le petit causse de Bédarieux, propriété communale, fournissait aux habitants bois de chauffage et pâture pour leurs quelques chèvres et moutons. Des chemins caladés permettaient d’y accéder. Il semble assuré cependant que les pentes dominant la ville étaient déjà couvertes de terrasses et de murs de soutènement et produisaient un vin réputé dès le début du 14ème siècle.
Au 18ème siècle, la population de la France s’accroît et le pouvoir royal incite fortement à défricher et à mettre en valeur de nouvelles terres (marais, terres arides …), en particulier en 1714, 1766 et 1770. À Bédarieux, la déclaration royale du 5 juillet 1770 est suivi d’effet : des lots d’une ou plusieurs «setérées» (surface agricole correspondant à l’ensemencement d’un setier de grains, soit 23 ares) sont proposés aux habitants moyennant une contribution symbolique assortie d’une obligation de mise en valeur et d’ une exemption de la «taille» durant 15 ans.Le 11 juin 1793, la convention montagnarde vote une loi restituant aux communes les terres appartenant à la noblesse, leur permettant de les distribuer à des volontaires en fonction de la taille de leur famille.
Dès lors ces volontaires, possédant pour la première fois un bien en propre et mettant à contribution femmes et enfants, défrichent et exploitent leurs propres terres.Avec les pierres sorties du sol, ils bâtissent les murets de clôture et de soutènement, font apparaître les barres ou étagères, déposent des tonnes de pierres sur des clapas, aménagent des abris dans les murs pour s’abriter de la pluie ou ranger les outils et construisent les capitelles. Les nouvelles terres sont ensemencées en blé, pois chiche, lentilles, plus tard en pommes de terre, après l’épisode napoléonien. Ils plantent aussi quelques arbres fruitiers et élevent des moutons ou des chèvres, comme l’attestent les pierres disposées verticalement sur le haut des murs et la présence de quelques bergeries.
Dans la seconde partie du 19ème siècle, la vigne supplante les autres cultures. Or pour produire du vin, il faut un local adapté pouvant recevoir pressoir et barriques. Apparaissent alors les mazets, constructions de pierres à étage ou en appentis, équipées d’une citerne destinée à recueillir l’eau nécessaire au traitement de la vigne. Ces mazets sont utilisés jusque dans les années 1950-60. Puis les cerisiers, culture de rapport à l’époque, remplacent ici et là les vignes qui sont délaissées puis finalement arrachées.
Au début des années 1970, le causse redevient silencieux. Quelques vignes sont encore vendangées, de rares amoureux de nature et de solitude investissent des mazets, sans eau ni électricité.Toutefois, un aérodrome est créé, grâce à un médecin féru d’aéronautique. À la fin des années 1970, le Conseil Général décide d’y baser des avions anti-incendie que les pompiers alimentent en eau grâce à une piste construite entre La Tour-sur-Orb et l’aérodrome. Il apparait assez vite qu’un forage étaestit indispensable et a besoin d’électricité ; c’est ainsi que le causse est électrifié en 1983-1984. Dès lors, des familles quittent la ville pour s’installer sur le causse, rénovant et agrandissant le mazet abandonné par le père ou le grand père, après avoir fait forer pour bénéficier des bienfaits de l’eau. D’autres mazets sont achetés. Peu à peu le causse change de nature, apparaissent des clôtures et des portails, jusque-là inconnus, mais également des piscines et des terrains de tennis.
La Mairie par le biais du PLU fixe des règles visant à sauvegarder la singularité du site, règles souvent incomprises et contestées par les descendants des défricheurs ayant construit capitelles et mazets en toute liberté. Le causse, délaissé après les années 60 devient un lieu de vie très recherché. Actuellement, une bonne centaine de familles y réside, ponctuellement ou à temps plein, essentiellement le long des voies d’accès et des chemins carrossables qui restent étroits et difficilement accessibles aux véhicules de service. Se pose la question du délicat équilibre à trouver entre la sauvegarde d’un lieu unique et la satisfaction du désir exprimé par de nombreuses personnes de s’y installer.Aujourd’hui, le causse est un lieu où des personnes de divers horizons apprennent à vivre ensemble et à s’apprécier. Il reste un lieu unique, riche de ses kilomètres de murs de pierres sèches, de ses capitelles et mazets, de ses chemins sur les murs et des nombreux vestiges. Il est le résultat d’une culture originale faite de solidarité, d’entraide et de communion avec la nature développée durant près de deux siècles par des ouvriers-vignerons faisant de ces terres ingrates un lieu de liberté et d’épanouissement.